Après deux heures sans bouger, Lou se décida enfin à se détacher de ce tableau. Mais là, au moment où ses yeux quittèrent la peinture, des bribes de son rêve apparurent comme des flashes. Il avait beau se frotter les yeux pour essayer d’effacer ces images, rien n’y faisait. Il revoyait ce couple enlacé, il les voyait en train de s'embrasser, de se toucher, il revoyait toute la scène jusqu’à ce bijou si particulier qui apparaissait entre chaque flash. Puis soudain il revit les flammes, suivies du visage de cet homme aux cheveux ébène, ainsi que le jeune homme blond. Cette fois un détail le dérangea dans ces apparitions. Le visage du blond, qui jusqu'ici était flou, commençait à devenir de plus en plus net, jusqu’à devenir quelque chose de familier.

Ce rêve qui apparaissait à répétition commença à lui tourner la tête, il se sentait mal, sa poitrine était comme compressée, son souffle lui manquait. Il voulait se lever et sortir prendre l’air mais ses forces lui manquaient. Ses jambes ne voulaient pas bouger, trop faibles pour le porter jusqu’au dehors. Il fit jusqu’à trois tentatives avant de réussir à se lever. Ses pas le conduisirent difficilement jusqu’à la sortie, il passa devant Charles sans lui adresser le moindre geste… Lou se cramponnait aux murs pour ne pas tomber, il entrevoyait difficilement la sortie, aveuglé par ce collier qui ne cessait d’apparaître devant lui.

-Il faut que je rentre… il faut que je rentre… se répétait-il sans arrêt.

Il arriva enfin dehors, l’air soufflait sur son visage, il se sentait déjà mieux, mais pas suffisamment. Il s’adossa à l’une des colonnes porteuses du bâtiment pendant quelques minutes, le temps de récupérer tout son souffle, la tête baissée en avant, le vent faisait bouger harmonieusement quelques mèches blondes qui lui masquaient le visage.

Après avoir repris une respiration et un rythme cardiaque normaux, Lou se mit en marche, il n’avait pas de destination prédestinée dans sa mémoire, il voulait simplement se changer les idées en arpentant les rues de Paris.

-Pourquoi est-ce que je fais une fixation sur ce rêve… sur ces deux hommes… ? Et ce bijou ? Pourquoi est-ce qu’il m’attire autant… ?

Lou ne faisait pas attention où il allait, ses pieds le conduisirent vers un parc et il s’installa, sans contrôle sur son corps, sur un banc à l’abri de majestueux platanes. Il s’installa, les deux bras allongés sur le bord du banc, la tête jetée en arrière, ses yeux gris, à moitié plissés à cause du soleil, scrutaient le ciel.

-Il m’obsède tellement… et ce blond… il… il avait l’air de me ressembler… Comment ça se fait que je me voie en rêve en train de… d’embrasser un mec ? Et puis c’était quoi cette époque… ? C’est qui ce mec ?! Je n’y comprends plus rien…

Une fois encore ces flashs revinrent. Ce ruban noir orné d’émeraudes, ces deux anges aux ailes repliées, il semblait connaître ce bijou par cœur, de ses mains tendues vers le ciel il commençait à dessiner chaque détail. Après avoir réussi à reconstituer chaque détail de ce tour du cou, il s’effaça lentement et laissa place au visage d’un jeune homme… celui de son rêve. Il commença à le détailler, à regarder chaque petites marques d’expressions de bonheur inscrites sur son visage. De ses mains il se surprit à « caresser » ce visage, il avait l’impression qu’il était bien réel, que ce n’était pas un mirage, plus il le regardait plus il souhaitait que cela ne soit pas un mirage. Ses yeux d’un noir si profond qui pouvaient presque transpercer son âme, tellement il donnait l’impression d’être réel, le rendaient étrange. Puis soudain il se vit en train de serrer ce même homme dans ses bras, de l’embrasser. Étrangement, bien qu’un petit malaise se soit installé au départ, il aimait cette vision. La vision d’un bonheur infini qui ne s’arrêterait jamais. Le visage de cet homme brun resta inscrit dans le ciel pendant de longues heures, elles défilaient sans que Lou ne s’en aperçoive, il était trop inspiré par cette vision au tour de cou de velours. La nuit commençait à tomber, le visage de cet homme était lui aussi en train de disparaître, Lou essaya de le retenir tant bien que mal, mais il se rendit vite compte qu’un mirage ne peut être retenu… il attendit alors qu’il s’efface complètement avant de se relever et de partir en direction de son appartement.

Il traînait les pieds, les mains dans les poches de son jean, lorsqu’il sentit son téléphone portable vibrer. Il n’était pas d’humeur à parler ce soir, mais cela ne devait pas être de l’avis de la personne qui l’appelait, n’y tenant plus et la curiosité aidant, Lou sortit son téléphone de sa poche et regarda l’indicateur d’appel. Il soupira violemment, c’était la dernière personne à qui il souhaitait parler à cet instant même, mais il se résigna tout de même à répondre. Il s’arrêta dans sa marche, s’adossa à un mur qui passait par là et décrocha. La voix au bout du téléphone était une voix féminine qui monta horriblement dans les aiguë lorsqu’elle entendit Lou lui répondre.

-Mon cœur ? T’es où ? Je t’attends, moi !

-Sandrine arrête de gueuler s’te plait je suis pas d’humeur, là…

-Ho… Ça ne va pas ?

-Non, pas trop. Bon tu me veux quoi ?

-T’es chiant Lou tu m’avais dit que tu m’emmènerais au restaurant pour nos deux mois.

-Ah oui c’est vrai… Lou avait complètement oublié ce dîner et autant se l’avouer il n’était pas très emballé ce soir pour sortir.

-Lou !… Tu m’avais promis…

Dans un long soupir Lou se résigna et accepta de la sortir, si cela lui tenait tellement à cœur que ça, il n’avait pas trop le choix. Il rentra chez lui, trouvant sa petite amie sur le pas de la porte de son appartement d’étudiant. Après un rapide baiser échangé, ils rentrèrent tout deux dans l’appartement. Sandrine s’installa sur le canapé devant la télé, en attendant que son homme prenne sa douche et se prépare pour sortir.

Lou était sous la douche, l’eau tiède parcourait son corps, il se sentait enfin décontracté, tranquille, libéré de tout flash, lorsqu’il fut de nouveau pris par ses mirages. Il revit cet homme aux cheveux couleur ébène, mais cette fois celui-ci ne resta pas fixe. Lou le voyait bouger les lèvres, sans qu’aucun son ne sorte de sa si belle bouche, il tentait de lui dire quelque chose, Lou n’arrivait pas à comprendre quoi, il le vit alors lui tendre la main, le regard triste, suppliant. D’abord gêné de le voir sous sa douche, il se mit à rougir et essaya de cacher son corps à ses yeux noirs. Mais au moment où il attrapa une serviette, l’eau savonneuse le fit glisser et il se rappela, à cat instant précis, que cet homme existait simplement dans son imagination. Assis au fond de sa douche, Lou fixa le mur qui se trouvait en face de lui. Son cœur s’emballait à la vue de cette illusion. Doucement il tendit sa main droite vers celle que cet homme, vêtu d’un long manteau noir, lui tendait et essaya de l’attraper, sans le moindre résultat.

-Que me veux tu à la fin… ? Qui es-tu… ?

L’homme au regard noir lui sourit et disparut une nouvelle fois, laissant un Lou complètement déboussolé. Péniblement, il se tira de la douche, une violente douleur s’était installée au niveau de son postérieur, due à sa chute. Il se mit devant sa glace et se regarda à travers elle durant un long moment, une fois encore il revit ce visage ainsi que ce collier. Agacé, Lou attrapa une serviette, se trouvant à ses côtés, et la lança contre la glace, se retourna dans un geste violent, partit en direction d’un placard, en sortit quelques vêtements propres, une chemise blanche ainsi qu’un jean noir, s’en vêtit et sortit de la salle de bain en colère. Une fois arrivé au salon il retrouva sa copine rousse, habillée assez légèrement, il la prit par la main et la tira de l’appartement, la conduisant vers l’extérieur de l’immeuble.

Ils étaient arrivés à l’heure au restaurant choisi par Lou, s’installèrent à table et commandèrent à manger. L’ambiance se fut des plus romantiques, bougies sur la table, douce musique ronronnant aux oreilles des clients. Le repas fut des plus exquis et des plus chers, mais ne dit-on pas qu’en amour on ne compte pas ? Malheureusement, Lou n’était plus sûr d’aimer cette jeune femme. Ils se connaissaient depuis deux mois, le coup de foudre leur était tombé dessus au détour d’un couloir de son école d’art.

Une fois le repas fini, ils rentrèrent ensemble à l’appartement de Lou pour finir la soirée d’une toute autre forme de nourriture. Cela faisait maintenant quarante cinq minutes que les préliminaires avaient commencé et Lou n’y trouvait aucun plaisir. Sa petite amie était en train de lui faire « la meilleure fellation qu’il existe sur terre » mais rien n’y faisait, il restait de marbre à chaque coup de langue, chaque caresse, chaque baiser. Jusqu’au moment où… jusqu’au moment où quelqu’un vint kidnapper toutes ses pensées. Une nouvelle fois le visage de son « amant » apparut, à cette vision son anatomie réagit immédiatement. Lou avait les yeux fermés lorsqu’il apparut, il s’imagina alors que cet homme était à la place de Sandrine, que c’était lui qui essayait de lui procurer un désir fou et bizarrement cela eut l’effet voulu. Sans ouvrir ses yeux il fit l’amour à sa petite amie toute la nuit, mettant sur son visage celui d’un brun au regard ténébreux…